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[Archives - Presse - Indochine VS Berurier Noir]


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Article paru dans Rocksound alors qu'on d'une éventuelle reformation.




Parmi les musiciens qui, d'une façon où d'une autre ont marqué leur époque, Indochine et Bérurier Noir symbolisent parfaitement le clivage d'un rock français qui a toujours eu du mal à se trouver pleinement et sereinement entre attitude indépendante et devenir commercial. Au moment où Indochine, presque vingt ans de carrière, continue de drainer les foules et où l'on parle d'une "actualité" Bérus, dix ans après leur séparation, Nicola et François ont bien voulu, pour la première fois, accepter de se rencontrer.

Au moment où Indochine, presque vingt ans de carrière, continue de drainer les foules et où l'on parle d'une "actualité" Bérus, dix ans après leur séparation, Nicolas et François ont bien voulu, pour la première fois, accepter de se rencontrer.

Nicolas : Alors vous ressortez quelque chose les Bérus?

François :Non, pas pour l'instant. Peut-être à la fin de l'année. Quelque chose de l'ordre de la compilation... améliorée (sourire!)

N. : Améliorée?

F. : Ouais, avec du "visuel"...

On est ravi que vous ayez accepté le principe de cette rencontre dans la mesure où on vous a beaucoup opposés dans le passé...

N. : Oui, c'est vrai, on nous a beaucoup opposés dans les 80's. Pas nous forcément, mais ce qu'on représentait : d'un côté les Bérus, le rock alternatif sans concession. De l'autre côté Indo, le rock dit "commercial". Alors que c'était peut-être plus compliqué que ça...

Il y eu aussi beaucoup de groupes dits "alternatifs" qui ne l'étaient pas du tout et qui ont fait beaucoup de compromis que des artistes dits "commerciaux"! Mais on ne va pas citer de noms!

LES BÉRUS RÉFORMÉS!

D'un côté, le rock alternatif, jusqu'au-boutiste : les Bérus. De l'autre, Indochine, le produit de la major, destiné aux gamins et forcément débilitant... Aujourd'hui, retournement cocasse, Indo continue presque en indépendant, délaissé par les médias. Et quand Les Bérus annoncent leur éventuel retour : branle-bas de combat chez les majors...

F. : C'est vrai, c'est assez cocasse. Avec les Bérus, il y a des gens qui ont pensé qu'il y avait un coup à faire, puisqu'un jour on m'a fait rencontrer Doc Gynéco! C'était pas pour faire un coup, que j'ai refusé évidemment...

En accord avec le Bureau Politique des Bérurier Noir (rires)! Non, mais c'est vrai, il y a eu un frisonnement, notamment dans les majors, suite à ce qui était une boutade lancée par le chanteur des Wampas qui, un jour, sur Ouï FM, a dit que les Bérus allaient se reformer!

N. : Comment ça fonctionne Bérus d'abord? C'est toi tout seul? Et les autres? Parce que moi, j'avais vu Laurent il y a quelques années à l'enterrement de Christian Lebrun (rédacteur en Chef de Best dans les 80's -- ndr) et depuis plus de nouvelles...

F. : Ben, les Bérus, c'est essentiellement trois personnes, les trois auteurs-compositeurs, c'est-à-dire, François, Masto et Laurent. Alors, c'est vrai, on est dispersés mais on est toujours en contact. Assez flou et distendu, reconnaissons-le, parce qu'on a des vies très différentes aujourd'hui. Mais, on décide toujours des choses qui concernent le groupe en trio.

N. : Ben, tu vois, nous, on a toujours été assimilé à un groupe-produit lancé par une major alors qu'on a toujours décidé de tout nous-mêmes et ce, depuis le début. On a commencé à la limite comme vous, comme un groupe de banlieue dans la mouvance punk.

Ensuite, ça a été les concerts au Rose-Bonbon où, c'est rigolo, "L'aventurier" était considéré à l'époque comme un hymne skin! Mais c'est vrai qu'à l'époque, les choses ont pris une tournure différente dans la mesure où nous, on s'était fait un plan à l'anglaise : faire de bonnes chansons, des singles et être signés par une maison de disques.

Et là, il y a toujours eu un hiatus et un débat entre alternatif et commercial qui à mon sens a toujours été caduque. À partir du moment où tu écris des chansons et que tu fais des disques, d'un côté comme de l'autre, c'est pour les vendre... La démarche est exactement la même.

UN GROUPE DE BANLIEUE

Sauf que la proportion concernant Indo était démesurée...

N.: Oui, c'est vrai. C'était du délire, on avait vendu en 1986, plus de disques que Téléphone, tu ne pouvais pas ouvrir la radio sans nous entendre. Ça a dû gaver beaucoup de gens, ce que je comprends tout à fait, ce qui a eu pour conséquence d'attiser les haines et les rancoeurs contre Indo.

Mais, pas forcément pour les bonnes raisons. En tout cas, pas pour des raisons strictement musicales. Mais l'histoire de la musique et du rock est une histoire de réactions et de contre-réactions...

F. : Enfin, nous, on était en réaction contre personne. On faisait notre truc. On n'avait pas créé Bérus pour réagir à des choses comme Indochine. On était simplement un groupe de la marge et qui s'y sentait bien.

Avant Bérurier Noir, il y avait les Béruriers, un groupe de banlieue. Et, c'est sur le concert de deuil pour la disparition de Bérurier que s'est créé Bérurier Noir! Tout ça pour dire qu'on fonctionnait dans un milieu très arty, sans trop se soucier de ce qu'il y avait autour.

En fait, le premier concert des Bérus a eu lieu à l'usine Palikao qui était plus ou moins un lieu d'avant-garde où se déroulaient des performances. Le gars nous avait dit : "Je ne veux pas d'un groupe de rock normal, je veux un show où quelque chose comme ça!"

Faut dire qu'à l'époque, il passait de la danse buto, et Rita Mitsouko y faisait des semi-performances. Donc, moi, je me suis pointé avec une mallette dans laquelle il y avait des masques. De fil en aiguilles, ça a donné Bérurier Noir, voilà. Bérus, à l'origine, c'est plus une troupe de théâtre...

N. : Ouais, c'est ça, ce n'était pas du tout la même démarche que la nôtre.

Est-ce qu'à un moment donné, les uns et les autres, votre image vous a fait chier?

N. : Moi, ce que je sais surtout, c'est qu'il y avait beaucoup de fans d'Indo qui étaient allés voir les Bérus. Notamment quand vous êtes passés à l'Olympia en 1989. Il y avait beaucoup de fans d'Indo qui allaient voir les Bérus parce qu'ils aimaient bien ce qui se passait sur scène.

Ils ne se posaient pas de questions. Moi en revanche, ce qui m'emmerdait le plus, c'était que j'avais le sentiment que jamais on arriverait comme en Angleterre! Cette capacité à vendre des disques, à assumer une popularité et à rester crédible.

On retombait tout le temps dans le clivage variété/rock alternatif. Or, la démarche d'Indochine au début, c'était effectivement d'accepter de faire des grandes télés, de paraître dans la presse "jeune" mais dans la mesure où on avait le sentiment d'être vraiment différents de ce qu'on trouvait auparavant dans ces médias, genre Mike Brandt!

Or, il y avait eu une ouverture avec Téléphone, on se mettait à y trouver des groupes de rock - enfin quand je dis "groupes de rock", je veux dire "gens qui écrivent leur musique" en fait - mais ça n'a pas été perçu comme ça.

Cela étant, les choses avaient quand même changé : 1986, tu as le changement de gouvernement, les manifestations étudiantes et nous, comme on a toujours été positionnés à gauche, on se retrouve avec des problèmes de "censure" sur une chanson comme "Les Tzars", tout ça est venu en même temps.

Cela dit ça n'a pas changé la vision des choses qu'avaient les gens : Bérus, groupe alternatif, Indo, groupe commercial.

F. : Nous, le problème à l'époque et je pense que c'était une faiblesse, on ne s'occupait pas de nos affaires financières. On faisait du rock juste pour la subversion. On venait d'une mouvance amar.

On était partagés entre les Reds et les Noirs, les anarchistes et les pro-Lutte Ouvrière et c'est vrai que pour les concerts, on passait plus de temps sur les stands qui défendaient les prisonniers qu'à savoir combien on allait avoir dans la poche! Et, en 1989, quand on s'est retournés contre Bondage, c'était essentiellement pour des raisons de thunes...

N. : C'est vrai cette légende selon laquelle vous ne déclariez pas vos titres à la Sacem?

F. : Tout à fait!

N. : Tu sais donc qui a profité du fric que vous avez généré?

F. : Ouais, c'est passé en P.A.I.

N. : Ça veut dire que ça a profité à Goldman, etc. Les plus gros vendeurs en France!

"STALIENS DU ROCK"

F. : En fait, on a pu récupérer une partie de nos droits plus tard. Mais, cela dit, à l'époque, ça ne nous intéressait pas, la Sacem était vécue comme un monopole, et on ne voulait pas rentrer dans le système. Malheureusement, il est impossible d'y échapper.

C'est en 1988, qu'on a commencé à déclarer les titres, c'est moi qui ait commencé, quasiment en cachette d'ailleurs, parce que ça commençait à poser beaucoup de problèmes et que ça commençait à faire beaucoup de fric.

Mais, jusqu'à cette prise de conscience, c'est clair qu'on s'en foutait. C'est d'ailleurs probablement la cause de ça qu'on a gagné cette étiquette de "Staliens du rock" qui nous a collé à la peau. Bon, on avait une attitude sans doute politique, anti-commerciale.

N. : ...mais nettement plus radicale que les groupes de rap aujourd'hui! C'est marrant parce qu'on venait tous de ce background politique. Nous à Indo y compris. Stéphane, mon frère, était à la Ligue Communiste, etc.

F. : Ben nous au contraire, on était contre toute forme d'embrigadement. C'est ça qui est paradoxal, on avait cette image de radicaux en étant absolument contre tout dogmatisme. Pour certains, on était des skins. Pour les skins, on était des Communistes qui pensaient eux-mêmes qu'on était des anars!

Et quand, en 1988, on a fait "Sampan" pour les réfugiers d'Asie du Sud-Est, tout le monde nous a accusés de soutenir les réactionnaires d'Indochine! De toute façon, je crois que les gens aiment bien te mettre dans des petites cases, un point c'est tout.

N. : Cela dit, on avait des thèmes qui étaient proches. "L'Empereur Tomato Ketchup" qui était un film que j'adorais, j'avais voulu faire une chanson dessus, mais trop tard, ça avait été fait... "Zéro de conduite", etc.

Ce genre de mouvance parce que pour moi, le rock, même à l'âge que j'ai aujourd'hui, ça reste quelque chose de rebelle. Pas forcément porteur d'un message ou d'un espoir mais, en tout cas, capable de provoquer des choses chez certains mômes.

Une réflexion sur le sexe, le social, la religion... Et je me souviens qu'il y avait certains thèmes qui nous rapprochaient... J'avais écrit une chanson qui s'appelait "Hors-la-loi" notamment. Cela dit, c'est clair, ça n'a pas la même gueule quand c'est diffusé sur NRJ ou sur une radio alternative!

F. : Encore que NRJ ait bien aidé au départ. C'est eux qui ont diffusé les premiers "Emperor...". Faut reconnaître que jusqu'en 1984-1985, il était possible de faire passer pas mal de choses.

Je me souviens que jusqu'en 1983, c'est moi qui écrivais directement ce qui nous concernait dans les dépêches de Best (rires)! L'agit-prop se faisait vraiment à la base! Après, ça a été différent, il y a eu du monde aux concerts donc les médias ont essayé d'attiser la rivalité...

N. : Mais cette guéguerre alternatifs/commerciaux, je pense que ça a beaucoup pollué l'ambiance... et ça a mis le doute dans l'esprit d'un public qui commençait juste à évoluer en France. Nous, on l'a vu avec Indo.

En 1981, profitant de la dynamique new wave Depeche Mode, Cure, U2, les gens à nos concerts sont des fans de rock entre vingt et vingt-cinq ans. Et, en 1984, ce ne sont plus que des mômes de treize ou quatorze ans!

Entre les deux dates, devine quoi? Alors, c'est clair l'ambiance était polluée. Je ne sais pas rétrospectivement ce qu'il aurait fallu faire, je ne dis pas s'unir, mais en tout cas, c'est dommage parce qu'on a raté la coche.

Je sais que ça m'a vraiment énervé à un moment parce que je nous ai toujours sentis pas si éloignés que ça sur le fond... Et puis, voir l'argent généré par les Bérus partir... Parce que, je ne sais pas exactement, mais vous avez vendu beaucoup de disques...

F. : Non, pas tant que ça en fait. Tu sais, les Bérus, c'est surtout un phénomène, une référence, un mythe mais en sept ans, je crois qu'on a fait deux cents concerts, ce n'est pas énorme. Mais, on a toujours tapé juste, au bon endroit.

On n'a pas, contrairement à la légende, fait beaucoup d'agit-prop. C'est juste qu'on s'est retrouvés en phase avec un courant, une idée qui était dans l'air et qui nous a portés. Et puis, sur les concerts qu'on a donnés, les gens ont été marqués. D'ailleurs, on se demande un peu pourquoi, c'était vachement bordélique et le son était pourri.

N. : Ouais mais il se passait quelque chose. La boîte-à-rythmes, le "pattern", il se passait vraiment quelque chose, c'est le souvenir que j'en ai en tout cas. Cela étant, ce que je voulais dire tout à l'heure, c'était que le fait d'avoir été aussi rigides et sans concessions, fait que de l'argent s'est perdu.

Un argent dont ont profité des gens qui n'auraient pas dû en profiter, voilà. Parce qu'en France, quand tu ne déclares pas tes chansons, l'argent va dans une caisse qui profite automatiquement aux plus gros vendeurs. Ce qui est aberrant...

F. : On a pu récupérer la majeure partie des droits. Honnêtement, ce n'était pas très compliqué, avant 1986, on n'avait pas vendu grand-chose. Et puis, même après, nos ventes n'ont jamais eu rien à voir avec celles d'Indochine. Pour le dire, les albums les plus célèbres comme "Concerto" doivent être aux alentours de cent mille...

Cela dit, le côté "je m'en foutiste", on l'a un peu payé sur le long terme. À la fin, c'est vrai qu'on faisait un peu plus attention parce qu'il y avait plus de monde, on était plus structurés aussi, c'était un peu comme Archaos, une vraie troupe de théâtre, dont l'aspect cachet devenait plus primordial. Mais c'est vrai que le fric, ce n'était pas ce qui était important.

Les uns et les autres, vous feriez les choses différemment aujourd'hui?

F. : Ouais, c'est clair. Moi, j'ai quasiment coupé net et on me l'a beaucoup reproché ensuite. Parce qu'avec Molodoï, on a continué en indépendants chez New Rose, chez qui j'avais monté Division Nada, un petit label.

Et, après, quand il y a eu avec New Rose des problèmes de rachat de la structure que nous ne maîtrisions plus, nous sommes passé chez Sony, chez qui on a signé en contrat d'artiste pour la première fois et pour trois albums.

Cela étant, ça n'a rien donné de spécial puisqu'à l'époque, ça n'intéressait pas grand monde. Mais, c'est vrai que, dès cette époque, l'approche était complètement différente. Mais, j'avais sans doute fait cela par réaction aux années Bérus.

N. : Nous, on a eu un parcours complètement atypique aussi. Là, on est en 1999, on a donc dix-huits ans de scène. On a connu les débuts, pas "alternatifs" au sens propre mais au moins underground. Ensuite, l'aventure "major" et le succès populaire.

Ensuite, la plongée dans l'oubli parce que ça n'intéressait plus les médias même si on continuait à faire de la musique. Pour refaire surface aujourd'hui, où on a complètement renouvelé un public.

Là, les concerts qu'on est en train de donner, ce sont des mômes de quinze à vingt ans qui découvrent le groupe par le bouche-à-oreille, pas par les médias. Bon, certains nous ont défendus, et certaines radios nous diffusent mais, c'est clair que ça se passe plus sur le terrain aujourd'hui.

F. : Vous bénéficiez peut-être aujourd'hui de la caution "Indochine" post-Catherine Deneuves (rires)!

N. : Attends! Ils ont pris le même logo que nous! Mais ce que j'ai appris est plus drôle : Alexis, qui était le manager de Taxi Girl qui nous en veut à mort depuis cette époque parce que nous, on a marché et pas Taxi Girl, eh bien, c'est lui qui a suggéré ce logo pour le film!

T'imagines la guéguerre (rires)! Bon, après ça, ils ont sorti le disque sans prévenir que c'était la bande originale. Cela étant, ce qui m'a fait chier, c'est que le film soit une catastrophe. À l'origine, j'avais choisi ce nom-là parce que je suis un fan de Marguerite Duras, pas pour le fantasme colonial!

Et la manière dont Duras a vécu "Les Colonies" n'a rien à voir avec la vision que donne le film avec Catherine Deneuve, avec le bel Officier Français, et les petits cambodgiens qui ramassent le caoutchouc.

Ce qui fait chier, c'est que l'Indochine est devenue à la mode après ce film : après tu t'es mis à trouver les trekkings au Viêt-Nam, etc. On a d'ailleurs écrit une chanson là-dessus qui est passée inaperçue qui s'appelait "Viêt-Nam Glam" et qui faisait un peu le constat de ça.

Savoir qu'aujourd'hui, la seule alternative que se voient proposer les petits Vietnamiens, ce soit de boire du Coca Cola, c'est un peu triste. Surtout après ce que les Américains ont fait subir à ce pays pendant la guerre!

F. : À qui la faute? Tu sais, le gouvernement en place à Hanoï aujourd'hui ne vaut guère mieux : pas de liberté d'expression, régime totalitaire. C'est quand même un des rares pays qui restent totalitaires aujourd'hui avec la Chine, Cuba, la Corée du Nord...

Vous avez eu, les uns et les autres, l'infortune d'être parodiés par les Inconnus. Pour Indo, la caricature était évidente. Pour le rock alternatif, les groupes étaient moins nommés, mais c'était tout aussi cuisant!

F. : Ouais, c'était une parodie collective des Garçons bouchers et de la Mano, il me semble, non?

N. : Ouais, ils avaient appelé ça la "Negrabouchebeat" ou quelque chose comme ça! Ça à Indo, ça nous a fait énormément de mal...

Après la guéguerre alternatif/commercial, c'était le coup de grâce. Pour toute la France, d'un seul coup, Indochine c'était "Isabelle a les yeux bleus". Putain, dur! Je vous assure, ça a été lourd à porter. Mais qu'est-ce que tu veux faire? C'est le jeu.

"CORNETTO POUR DÉGONFLERS"

Le portrait des "alternatifs" brossé par les Inconnus a laissé moins de trace, les groupes n'avaient pas le niveau de notoriété d'Indo, mais il était aussi prodigieusement cruel...

F. : Ah ouais, c'était dur aussi! "Y'a pas d'chef! Y'a pas d'chef", c'était féroce (rires)! Mais quand tu y repenses, c'était pas si mal vu. Franchement, les Bérus, c'était ça! Et puis, les interviews, que se soient celles des faux Indo ou celle des Negrabouchemachins, c'était pathétique!

N. : Mais, pour de vrai, pendant les interviews, c'était évidemment comme ça qu'on apparaissait! Je me souviens toutes les fois où on a accepté de parler dans un journal télévisé, ça a été l'horreur. On était là, assis, voulant tous parler en même temps...

Alors après, tu vois ça, c'est terrible! Je ne me souviens plus mais je crois que c'est pour Tien An Men, c'était affreux, on aurait mieux fait de la fermer. La télé, c,est sans pitié pour les artistes : tu vois quatre mecs dans une salle de répète en train de grattouiller les instruments et de blablater sur un événement qui se passe à l'autre bout du monde, ça ne peut être que grotesque!

F. : Je suis pour les parodies, ça a le mérite à un moment de remettre les choses à leur place. Nous, on avait déjà eu droit à une parodie auparavant. Simplement, elle était passée largement inaperçue parce que trop indépendante. Mais un groupe sur un petit label avait complètement parodié "Concerto pour détraqués" et avait appelé ça "Cornetto pour dégonflés" et c'était super drôle...

N. : C'est clair, ça te remet les yeux en face des trous. Mais en même temps, à un moment, la parodie est tellement forte qu'il n'est plus possible de rattraper le truc. Prends le truc sur M6 "Plus vite que la musique", ils ont fait un truc sur Indo récemment.

Ben, ce n'était pas un truc sur Indo, c'était un truc sur la perception qu'on les gens d'Indo après la parodie des Inconnus! Jusqu'à l'animateur déguisé en Inconnu déguisé en Indo. Ça n'a plus de sens. Au point qu'aujourd'hui, les médias ne comprennent plus du tout ce qu'est Indo et ce que fait Indo.

Aujourd'hui, non seulement les Bérus ou Indochine continuent de susciter l'intérêt mais inspirent des groupes et une nouvelle génération. Comment vivez-vous ce statut de grands frères/grands-pères?

F. : C'est juste normal, je pense. Les premiers inspirateurs étaient Eddie Cochran, Clash, Métal Urbain, on vient de quelque part et c'est normal que des gens s'inspirent de ce qu'on a pu faire...

N. : Ouah, Metal Urbain, j'accordais leurs guitares (rires)! Concernant Indo, c'est un peu nouveau que des gens aujourd'hui osent dire que le groupe représente quelque chose pour eux et qu'ils s'en inspirent! Pendant des années, ça n'a pas été le cas (rires)!

F. : Avant, ils écoutaient Indochine en cachettes (rires)!

N. : Sans blague, c'est vraiment nouveau! J'ai vu quelques annonces l'autre jour : "Guitariste cherche groupe. Influences Depeche Mode, Placebo, Garbage, Indochine". Ça m'a touché, c'est la première fois que je voyais ça.

Le groupe qui a un peu synthétisé les deux courants que vous représentez, c'est Noir Désir, non?

N. : Moi, je ne suis pas d'accord.

F. : Moi, je trouve ça assez pertinent.

N. : Pour moi, Noir Désir, c'est tout sauf sexuel! À part la gueule du chanteur qui est intéressante... Enfin je veux dire, il est mignon.

TE RENOUVELER OU TE SABORDER

On peut reconnaître que Noir Désir a su à la fois gérer son image auprès du grand public mais aussi rester avec l'image "indé" en ne manquant jamais d'être pinailleur...

N. : Ah ouais, vraiment très pinailleur! Je vais te raconter un truc. Nous, on les a fait passer en première partie d'Indo quand on a fait nos quatre Zénith, parce que bien que tout le monde nous rentrait dedans à l'époque dans le milieu rock, on avait décidé de proposer en première partie les groupes rock qui émergeaient : les Ablettes, les Innocents et donc Noir Désir...

F. : Putain, tout ce que je détestais (rires)!

N. : ... les Innocents et les Ablettes ont été nickels et les Noir Désir se sont pointés avec leur maison de disques, Barclay, ont fait leur truc et se sont cassés tout de suite après! Bonjour l'ambiance! Qu'ils n'aient jamais aimé Indo, je n'en doutais même pas, mais c'est juste une question de politesse, de savoir-vivre.

F. : Bah, tous les groupes sont comme ça, quand ça commence un peu à marcher, tout le monde se tire la bourre!

N. : Alors bien sûr Noir Désir est devenu le groupe numéro un mais est-ce que ça justifie ce comportement? Moi, quand on m'a dit un jour : "Indo, c'est super vous êtes le groupe numéro un!" J'en revenais pas. Pourquoi fallait-il qu'il y ait un numéro un? Moi, qui justement avais quitté l'école parce que je n'aimais pas les classements! C'est terrible.

C'est d'ailleurs un peu pour ça qu'on s'est mis à l'écart après notre tournée au Pérou. On s'est dit : "On a fait huit ans, on a vendu beaucoup de disques, on se met à l'écart pendant deux ans. Et on va faire le minimum." L'idée, c'était d'être appréciés vraiment pour notre musique et pas artificiellement parce qu'on passait plusieurs fois par jour toute l'années sur NRJ.

F. : Mais vous étiez tous d'accord dans le groupe sur cette attitude? Parce que nous dans les Bérus, à la fin, on était treize personnes à se cracher dessus!

N. : Ça c'est le problème de tous les groupes, il faut un leader et tous les autres qui ferment la gueule. Nous, depuisle début, on avait décidé de fonctionner en démocratie. Avec les aléas. C'est-à-dire que parfois, j'ai dû accepter des trucs qui ne me plaisaient carrément pas.

F. : Moi, je vais te dire, les Bérus n'étaient pas du tout démocrates! On était une base très solide : Laurent, moi et puis tout un tas de gens gravitaient autour. Cela dit, il y avait un noyau dur qui prenait les décisions, ce qui n'allait pas sans poser des problèmes d'ailleurs. Cela étant, c'est le problème rencontré par tous les groupes, du plus petit jusqu'aux Beatles...

N. : Au fil des années, il n'y a guère que U2 qui s'en sorte mais parce qu'à la base de l'édifice, il y a une espèce de moralité chrétienne extrêmement forte qui les lie tous.

F. : Ça n'empêche pas que Bono et The Edge sont ceux qui prennent les décisions parce que se sont les auteurs-compositeurs et les personnalités les plus en avant! Cela dit, au bout d'un moment, ce système fait que tu tournes en rond et que la solution, c'est de te renouveler de fond en comble ou de te saborder. C'est pour cela que les Bérus se sont sabordés.

N. : Moi, je ne m'y suis jamais résigné! Même quand les autres sont partis. Je me suis dit : "Je crois toujours à ce que je fais, il n'y a pas de raison que j'arrête." Je trouve assez classe qu'un jour, un groupe se dise : "On a tout dit, on a fait le tour de la question, on se sépare." La manière dont vous avez arrêté les bérus, c'était bien, là où la Mano, c'était un peu pathétique.

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