Article paru dans Rocksound alors qu'on d'une éventuelle reformation.
Parmi les musiciens qui, d'une façon où d'une autre ont marqué leur époque, Indochine et Bérurier Noir symbolisent parfaitement le clivage d'un rock français qui a toujours eu du mal à se trouver pleinement et sereinement entre attitude indépendante et devenir commercial.
Au moment où Indochine, presque vingt ans de carrière, continue de drainer les foules et où l'on parle d'une "actualité" Bérus, dix ans après leur séparation, Nicola et François ont bien voulu, pour la première fois, accepter de se rencontrer.
Au moment où Indochine, presque vingt ans
de carrière, continue de drainer les foules et où l'on parle d'une
"actualité" Bérus, dix ans après leur séparation,
Nicolas et François ont bien voulu, pour la première fois,
accepter de se rencontrer.
Nicolas : Alors vous ressortez quelque chose
les Bérus?
François :Non, pas pour l'instant. Peut-être
à la fin de l'année. Quelque chose de l'ordre de la compilation...
améliorée (sourire!)
N. : Améliorée?
F. : Ouais, avec du "visuel"...
On est ravi que vous ayez accepté le
principe de cette rencontre dans la mesure où on vous a beaucoup
opposés dans le passé...
N. : Oui, c'est vrai, on nous a beaucoup
opposés dans les 80's. Pas nous forcément, mais ce qu'on représentait
: d'un côté les Bérus, le rock alternatif sans concession. De
l'autre côté Indo, le rock dit "commercial". Alors
que c'était peut-être plus compliqué que ça...
Il y eu aussi beaucoup de groupes dits
"alternatifs" qui ne l'étaient pas du tout et qui ont
fait beaucoup de compromis que des artistes dits "commerciaux"!
Mais on ne va pas citer de noms!
LES BÉRUS RÉFORMÉS!
D'un côté, le rock alternatif, jusqu'au-boutiste
: les Bérus. De l'autre, Indochine, le produit de la major,
destiné aux gamins et forcément débilitant... Aujourd'hui,
retournement cocasse, Indo continue presque en indépendant, délaissé
par les médias. Et quand Les Bérus annoncent leur éventuel
retour : branle-bas de combat chez les majors...
F. : C'est vrai, c'est assez cocasse. Avec
les Bérus, il y a des gens qui ont pensé qu'il y avait un coup
à faire, puisqu'un jour on m'a fait rencontrer Doc Gynéco! C'était
pas pour faire un coup, que j'ai refusé évidemment...
En accord avec le Bureau Politique des Bérurier
Noir (rires)! Non, mais c'est vrai, il y a eu un frisonnement,
notamment dans les majors, suite à ce qui était une boutade
lancée par le chanteur des Wampas qui, un jour, sur Ouï FM, a
dit que les Bérus allaient se reformer!
N. : Comment ça fonctionne Bérus d'abord?
C'est toi tout seul? Et les autres? Parce que moi, j'avais vu
Laurent il y a quelques années à l'enterrement de Christian
Lebrun (rédacteur en Chef de Best dans les 80's -- ndr) et
depuis plus de nouvelles...
F. : Ben, les Bérus, c'est essentiellement
trois personnes, les trois auteurs-compositeurs, c'est-à-dire,
François, Masto et Laurent. Alors, c'est vrai, on est dispersés
mais on est toujours en contact. Assez flou et distendu,
reconnaissons-le, parce qu'on a des vies très différentes
aujourd'hui. Mais, on décide toujours des choses qui concernent
le groupe en trio.
N. : Ben, tu vois, nous, on a toujours été
assimilé à un groupe-produit lancé par une major alors qu'on a
toujours décidé de tout nous-mêmes et ce, depuis le début. On
a commencé à la limite comme vous, comme un groupe de banlieue
dans la mouvance punk.
Ensuite, ça a été les concerts au Rose-Bonbon
où, c'est rigolo, "L'aventurier" était considéré à
l'époque comme un hymne skin! Mais c'est vrai qu'à l'époque,
les choses ont pris une tournure différente dans la mesure où
nous, on s'était fait un plan à l'anglaise : faire de bonnes
chansons, des singles et être signés par une maison de disques.
Et là, il y a toujours eu un hiatus et un
débat entre alternatif et commercial qui à mon sens a toujours
été caduque. À partir du moment où tu écris des chansons et
que tu fais des disques, d'un côté comme de l'autre, c'est pour
les vendre... La démarche est exactement la même.
UN GROUPE DE BANLIEUE
Sauf que la proportion concernant Indo était
démesurée...
N.: Oui, c'est vrai. C'était du délire, on avait vendu en 1986,
plus de disques que Téléphone, tu ne pouvais pas ouvrir la
radio sans nous entendre. Ça a dû gaver beaucoup de gens, ce
que je comprends tout à fait, ce qui a eu pour conséquence d'attiser
les haines et les rancoeurs contre Indo.
Mais, pas forcément pour les bonnes
raisons. En tout cas, pas pour des raisons strictement musicales.
Mais l'histoire de la musique et du rock est une histoire de réactions
et de contre-réactions...
F. : Enfin, nous, on était en réaction
contre personne. On faisait notre truc. On n'avait pas créé Bérus
pour réagir à des choses comme Indochine. On était simplement
un groupe de la marge et qui s'y sentait bien.
Avant Bérurier Noir, il y avait les Béruriers,
un groupe de banlieue. Et, c'est sur le concert de deuil pour la
disparition de Bérurier que s'est créé Bérurier Noir! Tout ça
pour dire qu'on fonctionnait dans un milieu très arty, sans trop
se soucier de ce qu'il y avait autour.
En fait, le premier concert des Bérus a eu
lieu à l'usine Palikao qui était plus ou moins un lieu d'avant-garde
où se déroulaient des performances. Le gars nous avait dit :
"Je ne veux pas d'un groupe de rock normal, je veux un show
où quelque chose comme ça!"
Faut dire qu'à l'époque, il passait de la
danse buto, et Rita Mitsouko y faisait des semi-performances.
Donc, moi, je me suis pointé avec une mallette dans laquelle il
y avait des masques. De fil en aiguilles, ça a donné Bérurier
Noir, voilà. Bérus, à l'origine, c'est plus une troupe de théâtre...
N. : Ouais, c'est ça, ce n'était pas du
tout la même démarche que la nôtre.
Est-ce qu'à un moment donné, les uns et
les autres, votre image vous a fait chier?
N. : Moi, ce que je sais surtout, c'est qu'il
y avait beaucoup de fans d'Indo qui étaient allés voir les Bérus.
Notamment quand vous êtes passés à l'Olympia en 1989. Il y
avait beaucoup de fans d'Indo qui allaient voir les Bérus parce
qu'ils aimaient bien ce qui se passait sur scène.
Ils ne se posaient pas de questions. Moi en
revanche, ce qui m'emmerdait le plus, c'était que j'avais le
sentiment que jamais on arriverait comme en Angleterre! Cette
capacité à vendre des disques, à assumer une popularité et à
rester crédible.
On retombait tout le temps dans le clivage
variété/rock alternatif. Or, la démarche d'Indochine au début,
c'était effectivement d'accepter de faire des grandes télés,
de paraître dans la presse "jeune" mais dans la mesure
où on avait le sentiment d'être vraiment différents de ce qu'on
trouvait auparavant dans ces médias, genre Mike Brandt!
Or, il y avait eu une ouverture avec Téléphone,
on se mettait à y trouver des groupes de rock - enfin quand je
dis "groupes de rock", je veux dire "gens qui écrivent
leur musique" en fait - mais ça n'a pas été perçu comme
ça.
Cela étant, les choses avaient quand même
changé : 1986, tu as le changement de gouvernement, les
manifestations étudiantes et nous, comme on a toujours été
positionnés à gauche, on se retrouve avec des problèmes de
"censure" sur une chanson comme "Les Tzars",
tout ça est venu en même temps.
Cela dit ça n'a pas changé la vision des
choses qu'avaient les gens : Bérus, groupe alternatif, Indo,
groupe commercial.
F. : Nous, le problème à l'époque et je
pense que c'était une faiblesse, on ne s'occupait pas de nos
affaires financières. On faisait du rock juste pour la
subversion. On venait d'une mouvance amar.
On était partagés entre les Reds et les
Noirs, les anarchistes et les pro-Lutte Ouvrière et c'est vrai
que pour les concerts, on passait plus de temps sur les stands
qui défendaient les prisonniers qu'à savoir combien on allait
avoir dans la poche! Et, en 1989, quand on s'est retournés
contre Bondage, c'était essentiellement pour des raisons de
thunes...
N. : C'est vrai cette légende selon
laquelle vous ne déclariez pas vos titres à la Sacem?
F. : Tout à fait!
N. : Tu sais donc qui a profité du fric
que vous avez généré?
F. : Ouais, c'est passé en P.A.I.
N. : Ça veut dire que ça a profité à
Goldman, etc. Les plus gros vendeurs en France!
"STALIENS DU ROCK"
F. : En fait, on a pu récupérer une
partie de nos droits plus tard. Mais, cela dit, à l'époque, ça
ne nous intéressait pas, la Sacem était vécue comme un
monopole, et on ne voulait pas rentrer dans le système.
Malheureusement, il est impossible d'y échapper.
C'est en 1988, qu'on a commencé à déclarer
les titres, c'est moi qui ait commencé, quasiment en cachette d'ailleurs,
parce que ça commençait à poser beaucoup de problèmes et que
ça commençait à faire beaucoup de fric.
Mais, jusqu'à cette prise de conscience, c'est
clair qu'on s'en foutait. C'est d'ailleurs probablement la cause
de ça qu'on a gagné cette étiquette de "Staliens du rock"
qui nous a collé à la peau. Bon, on avait une attitude sans
doute politique, anti-commerciale.
N. : ...mais nettement plus radicale que
les groupes de rap aujourd'hui! C'est marrant parce qu'on venait
tous de ce background politique. Nous à Indo y compris. Stéphane,
mon frère, était à la Ligue Communiste, etc.
F. : Ben nous au contraire, on était
contre toute forme d'embrigadement. C'est ça qui est paradoxal,
on avait cette image de radicaux en étant absolument contre tout
dogmatisme. Pour certains, on était des skins. Pour les skins,
on était des Communistes qui pensaient eux-mêmes qu'on était
des anars!
Et quand, en 1988, on a fait "Sampan"
pour les réfugiers d'Asie du Sud-Est, tout le monde nous a accusés
de soutenir les réactionnaires d'Indochine! De toute façon, je
crois que les gens aiment bien te mettre dans des petites cases,
un point c'est tout.
N. : Cela dit, on avait des thèmes qui étaient
proches. "L'Empereur Tomato Ketchup" qui était un film
que j'adorais, j'avais voulu faire une chanson dessus, mais trop
tard, ça avait été fait... "Zéro de conduite", etc.
Ce genre de mouvance parce que pour moi, le
rock, même à l'âge que j'ai aujourd'hui, ça reste quelque
chose de rebelle. Pas forcément porteur d'un message ou d'un
espoir mais, en tout cas, capable de provoquer des choses chez
certains mômes.
Une réflexion sur le sexe, le social, la
religion... Et je me souviens qu'il y avait certains thèmes qui
nous rapprochaient... J'avais écrit une chanson qui s'appelait
"Hors-la-loi" notamment. Cela dit, c'est clair, ça n'a
pas la même gueule quand c'est diffusé sur NRJ ou sur une radio
alternative!
F. : Encore que NRJ ait bien aidé au départ.
C'est eux qui ont diffusé les premiers "Emperor...".
Faut reconnaître que jusqu'en 1984-1985, il était possible de
faire passer pas mal de choses.
Je me souviens que jusqu'en 1983, c'est moi
qui écrivais directement ce qui nous concernait dans les dépêches
de Best (rires)! L'agit-prop se faisait vraiment à la base! Après,
ça a été différent, il y a eu du monde aux concerts donc les
médias ont essayé d'attiser la rivalité...
N. : Mais cette guéguerre alternatifs/commerciaux,
je pense que ça a beaucoup pollué l'ambiance... et ça a mis le
doute dans l'esprit d'un public qui commençait juste à évoluer
en France. Nous, on l'a vu avec Indo.
En 1981, profitant de la dynamique new wave
Depeche Mode, Cure, U2, les gens à nos concerts sont des fans de
rock entre vingt et vingt-cinq ans. Et, en 1984, ce ne sont plus
que des mômes de treize ou quatorze ans!
Entre les deux dates, devine quoi? Alors, c'est
clair l'ambiance était polluée. Je ne sais pas rétrospectivement
ce qu'il aurait fallu faire, je ne dis pas s'unir, mais en tout
cas, c'est dommage parce qu'on a raté la coche.
Je sais que ça m'a vraiment énervé à un
moment parce que je nous ai toujours sentis pas si éloignés que
ça sur le fond... Et puis, voir l'argent généré par les Bérus
partir... Parce que, je ne sais pas exactement, mais vous avez
vendu beaucoup de disques...
F. : Non, pas tant que ça en fait. Tu sais,
les Bérus, c'est surtout un phénomène, une référence, un
mythe mais en sept ans, je crois qu'on a fait deux cents concerts,
ce n'est pas énorme. Mais, on a toujours tapé juste, au bon
endroit.
On n'a pas, contrairement à la légende,
fait beaucoup d'agit-prop. C'est juste qu'on s'est retrouvés en
phase avec un courant, une idée qui était dans l'air et qui
nous a portés. Et puis, sur les concerts qu'on a donnés, les
gens ont été marqués. D'ailleurs, on se demande un peu
pourquoi, c'était vachement bordélique et le son était pourri.
N. : Ouais mais il se passait quelque chose.
La boîte-à-rythmes, le "pattern", il se passait
vraiment quelque chose, c'est le souvenir que j'en ai en tout cas.
Cela étant, ce que je voulais dire tout à l'heure, c'était que
le fait d'avoir été aussi rigides et sans concessions, fait que
de l'argent s'est perdu.
Un argent dont ont profité des gens qui n'auraient
pas dû en profiter, voilà. Parce qu'en France, quand tu ne déclares
pas tes chansons, l'argent va dans une caisse qui profite
automatiquement aux plus gros vendeurs. Ce qui est aberrant...
F. : On a pu récupérer la majeure partie
des droits. Honnêtement, ce n'était pas très compliqué, avant
1986, on n'avait pas vendu grand-chose. Et puis, même après,
nos ventes n'ont jamais eu rien à voir avec celles d'Indochine.
Pour le dire, les albums les plus célèbres comme "Concerto"
doivent être aux alentours de cent mille...
Cela dit, le côté "je m'en foutiste",
on l'a un peu payé sur le long terme. À la fin, c'est vrai qu'on
faisait un peu plus attention parce qu'il y avait plus de monde,
on était plus structurés aussi, c'était un peu comme Archaos,
une vraie troupe de théâtre, dont l'aspect cachet devenait plus
primordial. Mais c'est vrai que le fric, ce n'était pas ce qui
était important.
Les uns et les autres, vous feriez les
choses différemment aujourd'hui?
F. : Ouais, c'est clair. Moi, j'ai
quasiment coupé net et on me l'a beaucoup reproché ensuite.
Parce qu'avec Molodoï, on a continué en indépendants chez New
Rose, chez qui j'avais monté Division Nada, un petit label.
Et, après, quand il y a eu avec New Rose
des problèmes de rachat de la structure que nous ne maîtrisions
plus, nous sommes passé chez Sony, chez qui on a signé en
contrat d'artiste pour la première fois et pour trois albums.
Cela étant, ça n'a rien donné de spécial
puisqu'à l'époque, ça n'intéressait pas grand monde. Mais, c'est
vrai que, dès cette époque, l'approche était complètement
différente. Mais, j'avais sans doute fait cela par réaction aux
années Bérus.
N. : Nous, on a eu un parcours complètement
atypique aussi. Là, on est en 1999, on a donc dix-huits ans de
scène. On a connu les débuts, pas "alternatifs" au
sens propre mais au moins underground. Ensuite, l'aventure "major"
et le succès populaire.
Ensuite, la plongée dans l'oubli parce que
ça n'intéressait plus les médias même si on continuait à
faire de la musique. Pour refaire surface aujourd'hui, où on a
complètement renouvelé un public.
Là, les concerts qu'on est en train de
donner, ce sont des mômes de quinze à vingt ans qui découvrent
le groupe par le bouche-à-oreille, pas par les médias. Bon,
certains nous ont défendus, et certaines radios nous diffusent
mais, c'est clair que ça se passe plus sur le terrain aujourd'hui.
F. : Vous bénéficiez peut-être aujourd'hui
de la caution "Indochine" post-Catherine Deneuves (rires)!
N. : Attends! Ils ont pris le même logo
que nous! Mais ce que j'ai appris est plus drôle : Alexis, qui
était le manager de Taxi Girl qui nous en veut à mort depuis
cette époque parce que nous, on a marché et pas Taxi Girl, eh
bien, c'est lui qui a suggéré ce logo pour le film!
T'imagines la guéguerre (rires)! Bon, après
ça, ils ont sorti le disque sans prévenir que c'était la bande
originale. Cela étant, ce qui m'a fait chier, c'est que le film
soit une catastrophe. À l'origine, j'avais choisi ce nom-là
parce que je suis un fan de Marguerite Duras, pas pour le
fantasme colonial!
Et la manière dont Duras a vécu "Les
Colonies" n'a rien à voir avec la vision que donne le film
avec Catherine Deneuve, avec le bel Officier Français, et les
petits cambodgiens qui ramassent le caoutchouc.
Ce qui fait chier, c'est que l'Indochine
est devenue à la mode après ce film : après tu t'es mis à
trouver les trekkings au Viêt-Nam, etc. On a d'ailleurs écrit
une chanson là-dessus qui est passée inaperçue qui s'appelait
"Viêt-Nam Glam" et qui faisait un peu le constat de ça.
Savoir qu'aujourd'hui, la seule alternative
que se voient proposer les petits Vietnamiens, ce soit de boire
du Coca Cola, c'est un peu triste. Surtout après ce que les Américains
ont fait subir à ce pays pendant la guerre!
F. : À qui la faute? Tu sais, le
gouvernement en place à Hanoï aujourd'hui ne vaut guère mieux
: pas de liberté d'expression, régime totalitaire. C'est quand
même un des rares pays qui restent totalitaires aujourd'hui avec
la Chine, Cuba, la Corée du Nord...
Vous
avez eu, les uns et les autres, l'infortune d'être parodiés par
les Inconnus. Pour Indo, la caricature était évidente. Pour le
rock alternatif, les groupes étaient moins nommés, mais c'était
tout aussi cuisant!
F. : Ouais, c'était une parodie collective
des Garçons bouchers et de la Mano, il me semble, non?
N. : Ouais, ils avaient appelé ça la
"Negrabouchebeat" ou quelque chose comme ça! Ça à
Indo, ça nous a fait énormément de mal...
Après la guéguerre alternatif/commercial,
c'était le coup de grâce. Pour toute la France, d'un seul coup,
Indochine c'était "Isabelle a les yeux bleus". Putain,
dur! Je vous assure, ça a été lourd à porter. Mais qu'est-ce
que tu veux faire? C'est le jeu.
"CORNETTO POUR DÉGONFLERS"
Le portrait des "alternatifs"
brossé par les Inconnus a laissé moins de trace, les groupes n'avaient
pas le niveau de notoriété d'Indo, mais il était aussi
prodigieusement cruel...
F. : Ah ouais, c'était dur aussi! "Y'a
pas d'chef! Y'a pas d'chef", c'était féroce (rires)! Mais
quand tu y repenses, c'était pas si mal vu. Franchement, les Bérus,
c'était ça! Et puis, les interviews, que se soient celles des
faux Indo ou celle des Negrabouchemachins, c'était pathétique!
N. : Mais, pour de vrai, pendant les
interviews, c'était évidemment comme ça qu'on apparaissait! Je
me souviens toutes les fois où on a accepté de parler dans un
journal télévisé, ça a été l'horreur. On était là, assis,
voulant tous parler en même temps...
Alors après, tu vois ça, c'est terrible!
Je ne me souviens plus mais je crois que c'est pour Tien An Men,
c'était affreux, on aurait mieux fait de la fermer. La télé, c,est
sans pitié pour les artistes : tu vois quatre mecs dans une
salle de répète en train de grattouiller les instruments et de
blablater sur un événement qui se passe à l'autre bout du
monde, ça ne peut être que grotesque!
F. : Je suis pour les parodies, ça a le mérite
à un moment de remettre les choses à leur place. Nous, on avait
déjà eu droit à une parodie auparavant. Simplement, elle était
passée largement inaperçue parce que trop indépendante. Mais
un groupe sur un petit label avait complètement parodié "Concerto
pour détraqués" et avait appelé ça "Cornetto pour dégonflés"
et c'était super drôle...
N. : C'est clair, ça te remet les yeux en
face des trous. Mais en même temps, à un moment, la parodie est
tellement forte qu'il n'est plus possible de rattraper le truc.
Prends le truc sur M6 "Plus vite que la musique", ils
ont fait un truc sur Indo récemment.
Ben, ce n'était pas un truc sur Indo, c'était
un truc sur la perception qu'on les gens d'Indo après la parodie
des Inconnus! Jusqu'à l'animateur déguisé en Inconnu déguisé
en Indo. Ça n'a plus de sens. Au point qu'aujourd'hui, les médias
ne comprennent plus du tout ce qu'est Indo et ce que fait Indo.
Aujourd'hui, non seulement les Bérus ou
Indochine continuent de susciter l'intérêt mais inspirent des
groupes et une nouvelle génération. Comment vivez-vous ce
statut de grands frères/grands-pères?
F. : C'est juste normal, je pense. Les
premiers inspirateurs étaient Eddie Cochran, Clash, Métal
Urbain, on vient de quelque part et c'est normal que des gens s'inspirent
de ce qu'on a pu faire...
N. : Ouah, Metal Urbain, j'accordais leurs
guitares (rires)! Concernant Indo, c'est un peu nouveau que des
gens aujourd'hui osent dire que le groupe représente quelque
chose pour eux et qu'ils s'en inspirent! Pendant des années, ça
n'a pas été le cas (rires)!
F. : Avant, ils écoutaient Indochine en
cachettes (rires)!
N. : Sans blague, c'est vraiment nouveau! J'ai
vu quelques annonces l'autre jour : "Guitariste cherche
groupe. Influences Depeche Mode, Placebo, Garbage, Indochine".
Ça m'a touché, c'est la première fois que je voyais ça.
Le groupe qui a un peu synthétisé les
deux courants que vous représentez, c'est Noir Désir, non?
N. : Moi, je ne suis pas d'accord.
F. : Moi, je trouve ça assez pertinent.
N. : Pour moi, Noir Désir, c'est tout sauf
sexuel! À part la gueule du chanteur qui est intéressante...
Enfin je veux dire, il est mignon.
TE RENOUVELER OU TE SABORDER
On peut reconnaître que Noir Désir a su
à la fois gérer son image auprès du grand public mais aussi
rester avec l'image "indé" en ne manquant jamais d'être
pinailleur...
N. : Ah ouais, vraiment très pinailleur!
Je vais te raconter un truc. Nous, on les a fait passer en première
partie d'Indo quand on a fait nos quatre Zénith, parce que bien
que tout le monde nous rentrait dedans à l'époque dans le
milieu rock, on avait décidé de proposer en première partie
les groupes rock qui émergeaient : les Ablettes, les Innocents
et donc Noir Désir...
F. : Putain, tout ce que je détestais (rires)!
N. : ... les Innocents et les Ablettes ont
été nickels et les Noir Désir se sont pointés avec leur
maison de disques, Barclay, ont fait leur truc et se sont cassés
tout de suite après! Bonjour l'ambiance! Qu'ils n'aient jamais
aimé Indo, je n'en doutais même pas, mais c'est juste une
question de politesse, de savoir-vivre.
F. : Bah, tous les groupes sont comme ça,
quand ça commence un peu à marcher, tout le monde se tire la
bourre!
N. : Alors bien sûr Noir Désir est devenu
le groupe numéro un mais est-ce que ça justifie ce comportement?
Moi, quand on m'a dit un jour : "Indo, c'est super vous êtes
le groupe numéro un!" J'en revenais pas. Pourquoi fallait-il
qu'il y ait un numéro un? Moi, qui justement avais quitté l'école
parce que je n'aimais pas les classements! C'est terrible.
C'est d'ailleurs un peu pour ça qu'on s'est
mis à l'écart après notre tournée au Pérou. On s'est dit :
"On a fait huit ans, on a vendu beaucoup de disques, on se
met à l'écart pendant deux ans. Et on va faire le minimum."
L'idée, c'était d'être appréciés vraiment pour notre musique
et pas artificiellement parce qu'on passait plusieurs fois par
jour toute l'années sur NRJ.
F. : Mais vous étiez tous d'accord dans le
groupe sur cette attitude? Parce que nous dans les Bérus, à la
fin, on était treize personnes à se cracher dessus!
N. : Ça c'est le problème de tous les
groupes, il faut un leader et tous les autres qui ferment la
gueule. Nous, depuisle début, on avait décidé de fonctionner
en démocratie. Avec les aléas. C'est-à-dire que parfois, j'ai
dû accepter des trucs qui ne me plaisaient carrément pas.
F.
: Moi, je vais te dire, les Bérus n'étaient pas du tout démocrates!
On était une base très solide : Laurent, moi et puis tout un
tas de gens gravitaient autour. Cela dit, il y avait un noyau dur
qui prenait les décisions, ce qui n'allait pas sans poser des
problèmes d'ailleurs. Cela étant, c'est le problème rencontré
par tous les groupes, du plus petit jusqu'aux Beatles...
N. : Au fil des années, il n'y a guère
que U2 qui s'en sorte mais parce qu'à la base de l'édifice, il
y a une espèce de moralité chrétienne extrêmement forte qui
les lie tous.
F. : Ça n'empêche pas que Bono et The
Edge sont ceux qui prennent les décisions parce que se sont les
auteurs-compositeurs et les personnalités les plus en avant!
Cela dit, au bout d'un moment, ce système fait que tu tournes en
rond et que la solution, c'est de te renouveler de fond en comble
ou de te saborder. C'est pour cela que les Bérus se sont sabordés.
N. : Moi, je ne m'y suis jamais résigné!
Même quand les autres sont partis. Je me suis dit : "Je
crois toujours à ce que je fais, il n'y a pas de raison que j'arrête."
Je trouve assez classe qu'un jour, un groupe se dise : "On a
tout dit, on a fait le tour de la question, on se sépare."
La manière dont vous avez arrêté les bérus, c'était bien, là
où la Mano, c'était un peu pathétique.
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