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Article paru dans Rock & Folk à l'occasion de la sortie de Carnaval des agités. Interview de François et Masto.
De 81 à 89, la fraction parisienne
agissant sous le nom de code Bérurier Noir a rallié sous son terrorisme
sonore, exclus du système et anges de gauche, implosant in extremis, avant
le total marketing de l’alternatif.Ce qu’il en reste?
IIs avaient
surgi dans un paysage rock éclaté. Fini les épopées Téléphone,
Bijou, Dogs. Rétamé, lessivé, décimé, ce serait donc la pénitence du
rock français, cette renaissance du côté des squats, dans un brasier
alternatif, c'est comme ça qu'on disait, non ?
Sept ans de loyaux sévices. Les Bérus sont morts en fanfare, ligue
de malfaiteurs s'autodétruisant en 89 mais c'est à notre bon
souvenir qu'ils se rappellent avec ce disque live ("Carnaval
Des Agités" chez Last Call), bazar éclaté, chahut pour barbaque
refroidie, déglinguée, son pourave, goualantes et tronçonnage de grosses
guitares à neu-neu, boites à rythmes expédiées à la va-commej'te-pousse.
Dans la tronche, pan, dans la tronche. Un disque prolétarien et fier
de l'être, degré zéro de tout, peut-être l'ultime scansion punko-destroy
merde in France,compilée à partir
de dizaines de cassettes enregistrées de concert en concert - putain,
mec, le Bikini à Toulouse, fallait les voir, fallait être là - disque
néantissime et jobard, peut-être le truc le plus scabreux, injustifiable
et jusqu'au-boutiste depuis la tournée d'adieux des Starshooter
(dont ils reprennent le "Betsy Party" comme un incunable des
Rolling Beatles de Perrache).
Deux survivants de ce qu'on se résoudra à appeler l'épopée bérurière,
François, alias Fanfan (chant et accessoires) et Masto (saxo alto) repassent
pour R&F la Saga Noire au fil de leurs souvenirs.
Troupeau d'Rock
Fanfan : En fait, en y repensant, je crois que c'est un peu
comme ce poète japonais Shuji Terayama. Il avait une troupe de
théâtre qu'il appelait son poulailler, et les Bérus, c'était
un peu ça. Le côté fin des années 70, fin d'un monde.
Au début des Bérus, on était deux, à la fin on s'est retrouvés à
treize.
Quasiment dès le départ, des gens ont tapé l'incruste. Je
me souviens de Helno et Bol, eux sont montés sur la scène au premier
concert, ils se sont fait remarquer bruyamment. Pareil pour les Titis
qui ont déboulé à Tours en 86. A la fin, on les appelait tous
"Troupeau d'rock"...
Masto: Moi, dans l'ordre, j'ai été invité, engagé, renvoyé,
gréviste (rires)...
Comment il était, Helno ?
Fanfan : Il y a plein d'anecdotes sur lui. En fait, plus
il avait une grosse boulette dans sa poche, heu...
Pardon ?
Fanfan : Oui, on touchait notre cash. Helno, il avait sa
boule de billets dans la poche. Plus la boule était grosse, plus
il bichait, le Helno.
Masto : On l'entend beaucoup, énormément même, dans le live.
Oui, il communique avec le public comme un fou…
Fanfan : Lors des premières tournées, il buvait pas mal.
Il se réveillait.. quand on en était aux rappels. Il déboulait
régulièrement sur scène vers la fin des concerts. Après, son rôle a
été beaucoup plus prépondérant. Très compère avec Bol, ils se
sont mis à jouer les deux clowns de service, ces deux clowns qui résument
totalement la Saga Bérus. Et puis il a donné des idées de chansons.
Une nuit, dans le camion après le concert, Helno s'est mis à nous
raconter cette histoire d'une femme mendiante qui bande les yeux
de son bébé. Et sous le bandeau elle met un scarabée, comme ça le bébé
hurle tout le temps, les gens ont pitié, donnent du fric. C'est
devenu "Scarabée ".
Expliquez-nous la mécanique du groupe...
Fanfan : Loran et moi, on était un peu les leaders sérieux, si
1'on ose dire. Eux c'étaient les idiots.
Masto : C'était moins défini que ça. Comme dans Guignol
ou la commedia dell'arte, les rôles pouvaient bouger, changer d'un
soir sur l'autre. Les Titis faisaient leurs acrobaties, y'en
avait un qui trippait indien. François, lui, c'était l'ultra
violence, chacun son truc, hein Fanfan ? (crise de rire général)...
Fanfan
: Masto, sa hantise, c'étaient les
curés (rires). Il y avait un certain exhibitionnisme des Bérus.
On faisait beaucoup de photos. Un après-midi, on s'est maquillé
et on est allé défier une manifestation intégriste qui quittait Notre-Dame
de Paris pour rallier Chartres. On a tenu un quart d'heure
au milieu des grenouilles de bénitier, grimés en extraterrestres.
Les réactions ont été fluides au départ, puis extrêmement saccadées.
Aller embêter les intégristes, activité
louable en soit, c'était dans votre rôle
de groupe rock ?
Fanfan - Nan, c'était une manif extra bérurière. On
a fait deux ou trois trucs comme ça, performances, délires, explosions
de poulets. C'était moins musical, plus en rapport avec notre
implantation dans les Facs d'Art Plastique...
Le rapport avec votre public ?
Fanfan : Plus ça allait, plus ils
étaient comme nous. Ils venaient déguisés, pire que des, drag-queens,
on serait vraiment à la mode aujourd'hui... Puis ils apportaient
tous leurs sifflets pour la version live du "Renard" ce fameux
renard violeur de riches poursuivi par les Milichiens... A la fin d'un
concert à Lyon en 88, un mec super bourré nous a donné une énorme coupe
de métal argenté, genre vainqueur de la coupe du
monde, je l'ai toujours chez moi.
Qu'avez-vous ressenti en écoutant
ces cassettes historiques pour en sortir
le "Carnaval Des Agités" ?
Fanfan : Sur une centaine de cassettes, les meilleures sont celles
de 88. A l'époque, c'est Lulu l'éclairagiste qui les
enregistrait sur la table de mixage. En fait, 1'idée de sortir
ce live court comme ça depuis trois ans... Sinon il y a eu un souvenir
formidable, la tournée au Québec, 88 encore. Là-bas, les Bérus ont provoqué
une espèce de révolution. On a joué deux fois au Spectrum, un
méga Olympia québécois. C'était un truc énorme qui provoquait une
effervescence révolutionnaire. Tu avais tous ces mecs dans la
salle avec des drapeaux du Québec Libre, ils faisaient la nique
aux Anglais, on servait de piédestal à un tas de choses.
Mille Raisons
Que reste-t-il aujourd'hui de
l'Affaire Bérus ? Bon sang, je me mets à la place du
lycéen de moins de quinze ans qui va lire ça et...
Fanfan : il reste le souvenir d'une fête. D'un
Troupeau, qui a bien déliré dans tous les sens, sur toutes
les routes.
Pourquoi avez-vous
arrêté ?
Fanfan: Mille raisons. Cinq cent bonnes, cinq cent mauvaises.
Une grosse pression sur le groupe, une série d'emmerdes. Les
Renseignements Généraux, qui nous suivaient à la trace, alertaient les
flics dans les villes où on arrivait, une campagne de la presse
Hersant nous assimilant à un groupe extrémiste genre Action Directe.
On s'est retrouvés dans des situations ubuesques. Comme ces
keupons qui venaient nous féliciter "Ouaip, super, vous soutenez
Black War", alors qu'on n'avait strictement rien à voir
avec ça... Eux pensaient que le fric des concerts servait à acheter
du plastic...
Masto : Et puis, tu sais... il y a deux sortes de groupes.
Ceux qui évoluent, ceux qui évoluent pas. Nous on faisait définitivement
partie de la seconde catégorie. Au bout d'un certain temps,
ça devient triste, un groupe qui n'évolue pas... Pour moi
c'était ça le fond du problème.
Fanfan
: Et puis au début il y avait une magie, une inconscience, on transmettait
le feu. Au bout d'un moment on s'est mis à tourner en
rond. Regarde, on a tenu un septennat avec une boîte à rythmes
qui avait dix rythmes seulement..
Masto : En janvier 89 on décide d'arrêter, mais de bien arrêter.
Et on a fait une grande tournée pour dire au revoir à tout le monde,
voilà. L'apogée c'était les Bérus à l'Olympia le 10
novembre.
La plupart des groupes arrêtent à cause de
plans cul ou de plans dope pas clairs... Et vous ?
Masto : Ben pas nous (rire général). Fanfan était d'une
intransigeance maladive... Fanfan: Moi je me souviens, au Québec, on
m'a apporté un plateau plein de lignes de poudre... C'était
quoi ? De la coke, voilà, ça devait être de la coke ! J'ai tout
envoyé valdinguer. Ça va pas, non ? Non, là dessus on a été à la limite
de l'intolérance. Masto : Fanfan c'était le Chef.
Le Chef, il avait sa place dans le camion, assis devant. Le Chef,
après le concert, il avait sa petite banane marquée " Banane du
Chef "...
Fanfan : A la fin, j'ai voulu arrêter, il y avait plus de
respect (crise de rire).
Votre participation à l'émission
de Dechavanne, "Ciel Mon Mardi", ne constitue-t-elle pas une
erreur énorme ? Moi je m'en souviens comme si c'était hier...
Fanfan : Oui, pourtant il y avait Aubert, le Gros Boucher,
Solaar, mais nous les Bérus, on n'aurait jamais dû y aller.
On a accepté de faire un truc folk et on s'est fait casser en direct.
Par l'ignoble Louvin, qui a décrété : "C'est
pas punk, c'est la Bande à Basile punk." Horrible...
Fanfan : Voilà, c'était une énorme erreur.
Masto :Le problème des Bérus c'était ça. Dans plein
d'endroits, c'était pas notre place. Tu vois, quand on
a fait le Zénith, par exemple ? Trop grand, pas notre place. On
était malheureux. Pareil chez Dechavanne. Même si, avec
le recul, je reconnais qu'il y avait un côté scouts en culbute chez
les Bérus.
Aventure
Est-ce que vous vous considériez comme
des punks ?
Masto : D'abord il faut que j'explique quelque chose.
Moi, à l'époque, j'avais pas compris les textes, ni les paroles.
Fanfan chantait "Petit Agité", bon, moi à un moment précis
j'intervenais, et je lui collais un coup de matraque. Plus tard
j'ai compris
qu'il parlait de "gosses délinquants devenus violents"...
Fanfan :Par contre il tapait fort,
le bougre (rires). Moi je faisais des textes, c'était une
révolte qui partait dans tous les sens. J'ai plein de carnets chez
moi, bourrés de textes. Bon, Loran lisait tout ça, il choisissait, il
disait ça oui, ça non, ça bof.. C'est pas qu'on s'en foutait,
puisque des types comme Helno se sont reconnus dans "Ainsi Squatte-T-Il"
et nous ont rejoints.
On dirait qu'il s'est
passé au cours de cette aventure un truc magique. Et maintenant,
ce souvenir très beau, inexplicable, idéal même, vous interdit de revenir.
Je me trompe ?
Masto: Il n'y a aucune nostalgie. C'est une
histoire fermée, finie, c'est bien.
Fanfan : Et puis les textes sont venus du public de cette époque.
C'étaient souvent leurs aventures, leurs histoires qu'ils venaient
nous raconter après les concerts. Parfois notre Service d'Ordre,
dont on s'était armé que pour nous protéger du Service d'Ordre
local, pour les surveiller, pour protéger nos fans des gros bras de
service, se lançait dans de grandes discussions idéologiques avec nous.
Eux même discutaient très fermes entre eux, il y avait une partiede
ce SO Anar, une partie Coco. Sinon je me souviens de Pierrot Camouflage
dormant dans les salles pour garder la sono...
Masto : Avec sa 22 long rifle, en treillis, poignard dans la
botte, "je garde le matos ", la totale (rires).
Les skins ?
Il y a eu des coups qui sont partis trop vite. Je
pense à ce qui s'est passé à l'Olympia. C'était pas
sympa, pas cool.
De quel milieu veniez-vous ?
Fanfan : C'était très mélangé. Moi je suis un
genre de Bazooka, fils d'artistes. Loran était un fils de
prolo, il bossait en usine d'armement. Un jour il a compris
pour qui il trimait, il a tout plaqué. Helno c'était.. le
lumpen prolétariat. Je dis ça avec respect, il nous avait emmenés
chez ses parents. En fait on se rencontre tous en 80, autour de
Lucrate Milk. Mais on ne copiait ni Crass, ni Exploited.
On tournait dans les squats, on n'avait rien, il fallait donc faire
des concerts événements. C'était noir, terrible, on faisait
exploser des poulets vivants sur scène.
Comment on fait ça, expliquez-nous ?
Fanfan : Tout à fait simplement: un pétard dans le cuL..
Beaucoup de copains de cette époque sont morts, disjoncte, drogue, sida...
FLAMBEAU
Voyez-vous aujourd'hui
des gens reprendre le flambeau ?
Masto: Moi j'ai eu un flash, vraiment très fort,
c'est Sloy.
Fanfan: Moi, toute la vague punk actuelle m'a l'air un
peu gentillette. Ça manque de contexte.
Masto : Elle est pas très forte, cette musique.
Fanfan : Prends un groupe de rap comme NTM, il n'y a aucune
dimension humoristique. C'est trop... trop sévère. Encore
une fois, je ne sais pas comment ça fonctionne à l'intérieur.
Nous, le jour où les deux Titis sont venues nous voir à Tours, elles
sont montées sur scène, elles ont fait ces danses idiotes... Mémorable.
Une semaine plus tard, on joue à Paris, elles étaient là, à nouveau.
C'était hallucinant d'anti-professionnalisme mais elles en voulaient,
donc elles sont restées.
Masto : Helno aurait-il couché avec elles (rires) ?
Fanfan : Nan, Nan, elles sont restées. C'était ça, les
Bérus. Comme les silences d'une minute entre deux morceaux
en plein concert, ou comme mes déclarations, hyper démagogiques qui
sortaient dans le feu du combat, enfin le feu du concert... Un jour
en Suisse, j'ai carrément vidé la salle. J'ai essayé de dire
un truc allemand, hop, tous les mecs sont sortis fracasser du keuf.
On a arrêté le spectacle, c'était plus du rock, c'était la guerre
civile.
Est-ce que vous vous réunissez parfois entre
protagonistes de la Saga des Bérus ?
Fanfan : Non. On n'a jamais essayé. Les réunions d'anciens
combattants c'est pas notre truc.
RECUEILLI
PAR EMMANUELLE DEBAUSSART
ET PHILIPPE
MANŒUVRE.
Tiré
de rock'n'folk n°341 que vous pouvez commander leur ecrivant
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